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Vincent Gautrais et Ejan MacKaay, « Les contrats informatiques », dans Denys-Claude Lamontagne, Droit spécialisé des contrats, vol. 3, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 279-315.

[1] Le terme « contrat informatique » est un néologisme curieux. Si le qualificatif « informatique » devait désigner directement l’objet du contrat, on dirait plutôt contrat d’informatique, comme dans contrat de vente, de mariage, de travail, de transport, d’assurance. Le contrat n’institue pas l’informatique. Plus récemment, on a vu apparaître le terme contrats du commerce électronique[1], pour désigner toute une gamme de contrats suscités par le commerce électronique, allant de la fourniture d’accès et de la mise au point de sites jusqu’à la vente en ligne et la publicité. On dirait de la même façon, contrats de l’informatique[2] ou contrats en informatique[3]. Ces termes ne se sont jamais imposés et c’est contrats informatiques[4] qui l’a emporté.
[2] Le terme contrat informatique s’entend du contrat qui intéresse le secteur de l’informatique[5]. Le rapport peut être de deux ordres. Dans un premier sens, l’informatique — le matériel, le logiciel ou les services pour les mettre au point, les entretenir ou les exploiter — est un aspect essentiel de l’objet du contrat. Dans le deuxième sens, l’informatique est une modalité de conclusion ou d’exécution du contrat.
[3] Au premier sens, les contrats informatiques ont fait l’objet de nombreuses études au cours des années 1970-1980[6]. Le terme désignait alors toute une gamme de contrats réunis sous un seul vocable en raison de la nouveauté de l’informatique qui en était un aspect important : contrat d’achat ou de location de matériel informatique ; contrat d’entretien ou d’autres services relatifs au matériel ; contrat de services informatiques par lequel une personne confie le traitement de données ou la conception d’un logiciel à une entreprise tierce spécialisée ; contrat permettant l’utilisation d’un logiciel ; contrats relatifs à la conception et la mise à jour d’un progiciel ou à sa distribution[7] ; contrat clés en main, combinant divers contrats et services évoqués et par lequel l’intéressé se fait promettre la mise à sa disposition d’un système informatique en état de fonctionner.
[4] Le regroupement de ces contrats fort différents pouvait avoir son utilité à l’époque de la nouveauté de l’informatique. Il fallait une certaine connaissance de l’informatique pour bien saisir les particularités des contrats régissant les différents aspects de son exploitation. Toutefois, à mesure que l’informatique a perdu sa nouveauté et même s’est banalisée, les différents contrats ont été « rapatriés » vers les domaines traditionnels du droit. L’achat d’un ordinateur puissant pose, à de modestes particularités près, les problèmes de spécification, d’installation, de livraison et de garantie que l’achat de tout appareil complexe entraîne. De même, une fois le logiciel reconnu comme une espèce d’œuvre littéraire[8], sa protection relève du droit d’auteur et les contrats visant sa mise à disposition de tiers sont analysés comme des licences ; le contrat pour la conception et la mise au point du logiciel est un contrat d’entreprise ou de service. Le logiciel parfaitement standardisé, dit aussi progiciel, distribué par milliers d’exemplaires, rejoint ses destinataires par un contrat que les fabricants voudraient qualifier de licence mais qui, pour d’autres, n’est qu’un contrat de vente[9] . Quelle que soit la qualification retenue, toutefois, il pose les problèmes de livraison et de garantie bien connus dans le droit de la vente. L’acquisition du micro-ordinateur résidentiel relève du droit de la protection du consommateur.
[5] L’informatique en tant qu’objet du contrat ne justifie donc plus qu’on y consacre tout un article, même si certains aspects, comme celui de la licence dite shrink-wrap, continuent à faire l’objet de débats de doctrine. On peut cependant entendre le terme contrat informatique dans le deuxième sens, qui a pris son essor au cours des années 1990. Le contrat est alors informatique du fait d’être conclu ou exécuté par la voie informatique, plus particulièrement par l’Internet. En ce deuxième sens, on dit aussi contrat électronique. Les contrats du commerce électronique en sont des espèces.
[6] Le contrat informatique en ce deuxième sens mérite bien une étude du fait de ses particularités encore mal comprises. Cette étude rejoint d’ailleurs certains points dans les contrats informatiques au premier sens dont la doctrine continue de débattre. Par exemple, la question de la licence souscrite par shrink-wrap des logiciels livrés sur support matériel trouve son prolongement dans celle de l’accord par click-wrap que l’on propose comme modalité de conclusion de contrats électroniques.
[7] L’étude du mode de conclusion du contrat informatique pose également une difficulté quant à la qualification du contrat informatique. En effet, et aussi étrange que cela puisse paraître, certains auteurs ont mis en avant le fait que l’immatérialité du produit échangé pouvait avoir une influence sur la nature du ou des contrats ainsi conclus. Ainsi, alors que la nature de « vente » d’un progiciel sous la forme d’une boîte est généralement bien identifiée, il est nécessaire pour certains d’identifier un second contrat, de licence cette fois, qui stipule sur les modalités d’utilisation que le détenteur des droits d’auteur décide de restreindre et plus généralement sur la propriété intellectuelle attachée au produit[10]. Or, le fait de dématérialiser l’opération entraîne une nouvelle confrontation entre la propriété matérielle et la propriété immatérielle du progiciel, la doctrine de l’épuisement du droit qui cherche à limiter l’application de certaines clauses au seul premier acheteur du logiciel en tant que produit matériel n’ayant plus à s’appliquer[11]. Sur le plan des concepts classiques, le caractère électronique d’une licence aurait pour effet de la rendre parfaite, détachée de toute vente[12]. Sans se baser sur la pertinence de tels propos, il est par contre important de signaler que les effets d’un tel résultat, notamment sur le plan de la protection des utilisateurs finaux, des consommateurs et des garanties qui leurs sont attachés, sont loin d’être mineurs[13].
[8] Dans une courte étude comme celle-ci, il serait illusoire de vouloir passer en revue les différents contrats qui se présentent sur l’Internet. On s’en convaincra aisément à la lecture du texte consacré entièrement aux seuls contrats du commerce électronique[14]. Aussi entendons-nous nous concentrer sur les spécificités et changements communs qui caractérisent les contrats circuitant sur l’Internet, par contraste aux contrats antérieurs. Il paraît opportun d’aborder ces problèmes par la division, classique et bien connue, entre la formation (Partie I) et l’exécution ou, plus généralement, les étapes consécutives à la formation (Partie II).


[1] Titre d’un ouvrage de Michel VIVANT, Les contrats du commerce électronique, Paris, Litec, 1999.
[2] André Viricel, Le droit des contrats de l’informatique, Paris, Moniteur, 1984.
[3] Isabelle de Lamberterie, Les contrats en informatique, Paris, Litec, 1983.
[4] Michel Coipel et al., Le droit des ‘contrats informatiques’ – principes et applications , Bruxelles, Maison Ferdinand Larcier, 1983 ; Isabelle de Lamberterie, Contrats informatiques, 1984 Jurisclasseur commercial 5 (Fascicule 730); Jean-Pierre Laire, Les entreprises et les contrats informatiques , Paris, Editions Performa, 1987 ; Xavier Linant de Bellefonds et Alain Hollande, Contrats informatiques et télématique, Paris, Delmas, 1992, (3e éd.); Philippe Le Tourneau, Les contrats informatiques, Paris, Dalloz, 1997; Philippe Le Tourneau, Théorie et pratique des contrats informatiques, Paris, Dalloz, 2000; Michel Vivant et Christian Le Stanc et al., Lamy – droit de l’informatique et des réseaux, Paris, Éditions Lamy, 2000, nos 749 s., p. 469 ; Barry B. SOOKMAN, Computer, Internet and Electronic Commerce Law, vol.1, Toronto, Carswell, 2000.
[5] Définition empruntée à M. VIVANT et C. Le Stanc, Supra, no 749, p. 470.
[6] Voir références dans les notes précédentes.
[7] Voir par exemple Ejan MACKAAY, Le contrat d’édition de progiciel en Amérique du Nord, (1989) 1 Cahiers de propriété intellectuelle 395-413 ; id., Contracting for Software in Canada, dans: Hans-Leo Weyers (dir.), Datenverarbeitungsprogramme als Gegenstand des Rechtsverkehrs, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1992, pp. 9-39.
[8] Un amendement à la Loi sur le droit d’auteur est intervenu en 1987 pour intégrer cette réalité dans le domaine d’application de la loi.
[9] Ejan MACKAAY, « Le marché du progiciel – licence ou vente », (1994) 6 Cahiers de propriété intellectuelle 401-416.
[10] M. VIVANT et C. Le Stanc, op. cit., p. 686.
[11] Jane WINN et Benjamin WRIGHT, The Law of Electronic Commerce, New York, Aspen Law & Business, 2001, (4e éd.), Chapitre 12 et 13. Voir la notion de « First Sale Doctrine ». Les auteurs citent l’article 17 U.S.C., par. 109 (a).
[12] Pierre-Emmanuel MOYSE, « Le dynamisme contractuel », (2000) disponible à http://www.robic.ca/publications/252.htm.
[13] Infra, Partie 2, A, paragraphe 3.
[14] Michel VIVANT, Les contrats du commerce électronique, Paris, Litec, 1999 ; J. WINN et B. WRIGHT, op.cit., chapitres 12 et 13.

Ce contenu a été mis à jour le 11 décembre 2019 à 9 h 52 min.