Radar et la preuve à soi-même
La technique s’immisce depuis longtemps dans l’application du droit. Et les radars sont une illustration pour le moins évocatrice de la promptitude des gouvernements à passer par ce biais. Sauf que ce saut dans la technique est généralement accompagné d’un encadrement souvent précis. En matière de cinémomètre, on aperçoit une logorrhée législative et réglementaire qui impressionne: outre le Code de la sécurité routière, une dizaine de règlements viennent encadrer la manière d’utiliser ces outils.
Cette semaine, lundi, une décision est tombée comme le relève un article d’aujourd’hui dans La Presse et selon lequel une infraction de vitesse vient d’être remise en cause suite à des manquements dans la manière de colliger la preuve. Dans l’affaire Direction des poursuites criminelles c. Bove, 2016 QCCQ 13829, le juge Serge Cimon (pour la petite histoire, le juge Cimon était l’avocat de la ville de Montréal à l’époque de l’affaire Bolduc sur les tickets émis avec de nouvelles machines sans « signature » manuscrite) remet en cause les manières de faire des services policiers dans la façon de monter la preuve.
Sur le plan juridique, l’affaire est d’une rare banalité: le droit québécois, soit le Code de la sécurité routière et ses règlements applicables, prévoit dans le détail que l’utilisation de cinémomètres ne peut se faire qu’à la condition que ses conditions d’utilisation soient respectées. Or, en l’espèce, des travers probatoires ont été suivis et certaines exigences semblent pour le moins décoratives. Deux arguments de base semblent évoqués:
Preuve du panneau de limite de vitesse
Le premier élément nous intéresse moins car il n’est aucunement technologique: sur l’autoroute 15, où la vitesse permise est normalement de 100 km/h, il y avait une limitation de 70km/h. Or, contrairement à l’article 329 du Code de la sécurité routière, aucune preuve n’a été faite à ce sujet. Après avoir déclaré en avoir eu personnellement connaissance, la policière en contre-interrogatoire a davantage dit n’être jamais allée sur les lieux. Ouï-dire donc.
utilisation rigoureuse du cinémomètre
Plus intéressant, des dispositions précises existent quant à l’utilisation des cinémomètres. Il y a notamment l’article 1 du Règlement sur les conditions et les modalités d’utilisation des cinémomètres photographiques et des systèmes photographiques de contrôle de circulation aux feux rouges qui dispose ceci:
1. Un cinémomètre photographique ou un système photographique de contrôle de circulation aux feux rouges approuvé par le ministre des Transports et le ministre de la Sécurité publique, en application des articles 332, 359.3 et 634.3 du Code de la sécurité routière (chapitre C-24.2), ne peut être utilisé que s’il a fait l’objet:
1° d’une validation:a) dans le délai prévu par son fabricant ou au cours de l’année qui précède la date de son utilisation, selon la première de ces éventualités;b) par un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée;c) permettant d’assurer:i. à l’aide d’un appareil externe, que la précision de la mesure de vitesse qu’il enregistre est conforme aux spécifications du fabricant pour celui-ci;ii. que les informations visées au deuxième alinéa de l’article 332 ou au deuxième alinéa de l’article 359.3 du Code de la sécurité routière, selon le cas, autres que la vitesse, et qui apparaissent sur les images obtenues par l’appareil sont exactes;2° d’une inspection, au cours des 75 jours qui précèdent la date de son utilisation, par le fournisseur, par le fabricant ou par toute autre personne autorisée par ce dernier à en effectuer l’entretien;
3° d’une vérification par un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée:
a) avant et après chaque opération dans le cas d’un cinémomètre photographique mobile;b) au cours des 7 jours qui précèdent la date de leur utilisation dans le cas des autres appareils;
Or, le juge Cimon, s’insurge contre le non-respect des dispositions en cause:
«[45] Pour démontrer le respect de l’ensemble de ces exigences, l’agente Fleurançois atteste, dans son rapport d’infraction, avoir personnellement constaté que le cinémomètre photographique a été utilisé conformément au Règlement. Or, cette attestation s’avère totalement fausse.
[46] En effet, lors de son contre interrogatoire, l’agente admet n’être pas une technicienne qualifiée et n’avoir reçu aucune formation appropriée lui permettant d’effectuer des vérifications sur un cinémomètre photographique. De plus, elle ne fait qu’une affirmation générale voulant que l’appareil fût à l’époque inspecté par le fournisseur à chaque 60 jours, sans pouvoir indiquer les vérifications effectuées par ce dernier. Par ailleurs, elle ajoute qu’elle « sait qu’à chaque semaine des policiers au bureau effectuent des tests sur les appareils pour s’assurer que le système fonctionne bien », mais elle n’est pas en mesure de spécifier de quels tests il s’agit.
[47] En fait, l’attestation apposée par l’agente sur son rapport d’infraction s’appuie entièrement sur des informations recueillies et constatées par des tierces personnes. Non seulement s’agit-il d’une preuve par ouï-dire ayant aucune valeur probante, mais également d’une transgression flagrante des critères de l’article 62 Cpp.»
L’affaire pourrait aller en appel; ceci dit, lorsque la règle est précise, détaillée, il est difficile de remonter la côte. Il me semble donc que la situation soit justement fort différente de celle de Bolduc où la fonction de signature était autrement accomplie. Ici, on requiert un formalisme qui vise à ne pas faire supporter les éventuelles défaillances de la machine sur les épaules de l’usager. Un formalisme de protection donc et aussi un formalisme probatoire, pour reprendre les fonctions établis par Lon Fuller.
Cette décision est intéressante car si la preuve est quête de vérité, elle requiert aussi des formes sources à protection notamment lorsque celles-ci se matérialisent dans une preuve à soi-même qui est de plus en plus de mise en matière technologique.
Aide-toi et la techno t’aidera!
Ce contenu a été mis à jour le 30 novembre 2016 à 13 h 28 min.
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